À bord des paquebots, le temps du repas est à la fois un moment gastronomique et une scène de représentation sociale. Les salles à manger sont le théâtre d’un art de vivre bien réglé. Les décors et mobiliers, les arts de la table, les menus illustrés, les mets concoctés, sont autant d’éléments qui participent du prestige des paquebots français.
Jean-Baptiste Schneider, docteur en Histoire contemporaine de l’Université Le Havre-Normandie, est l’invité de cette Saison patrimoine. En collaboration avec l'équipe du pôle patrimoine de Saint-Nazaire Agglomération Tourisme, il mitonne de nombreux rendez-vous pour vous révéler l’univers de la table transatlantique. De quoi avoir les papilles en émoi !
Dans un entretien exclusif, il a accepté de dévoiler son parcours... et quelques anecdotes croustillantes en primeur. Bonne lecture !
Jean-Baptiste Schneider, lors de la soirée de lancement de la Saison patrimoine 2023, aux côtés de Tiphaine Yvon, responsable du pôle patrimoine de Saint-Nazaire Renversante, et de Sébastien Jubau, chargé de la documentation des œuvres.
Bonjour Jean-Baptiste Schneider. Vous êtes docteur en Histoire contemporaine de l’Université Le Havre-Normandie, spécialiste de l’histoire de l’alimentation à bord des paquebots. Vous avez consacré votre thèse à ce sujet passionnant. Pouvez-vous revenir sur ces années de recherche ?
En 2021, j’ai soutenu une thèse qui s’intitule : Histoire d’une compétition internationale : L’alimentation des voyageurs dans les ports et à bord des transatlantiques (1818-1914). Je précise que j’ai dû revoir la période historique de ma thèse sur un champ chronologique beaucoup plus serré. À la base, j’avais étudié l’ensemble de l’histoire de l’alimentation et de la gastronomie à bord des navires jusqu’en 1974.
Mon directeur de thèse, en voyant que ma thèse faisait 2000 pages, m’a conseillé de faire des choix. J’ai donc décidé d’étudier la période du 19e siècle au début du 20e siècle. C’est, pour moi, la plus intéressante, la plus fertile en découvertes, qu’elles soient scientifiques ou technologiques. Et elle n’avait pas été traitée ou très peu, en termes universitaires. Tandis que, pour la période allant du paquebot Normandie (1935) au France (1962), on trouve pléthore d’ouvrages aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’histoire de la table à bord des paquebots ?
Mon père est cuisinier. Moi-même, je suis issu d’une formation en hôtellerie-restauration : cuisines, service, bar, vin… Lorsque je faisais mes études d’histoire, le professeur Jean-Pierre Williot m’a conseillé d’aller consulter les archives de la Compagnie Générale Transatlantique au Havre. J’avais déjà fait un premier travail de recherche pour mon master sur le thème de l’alimentation à bord des paquebots. Quand j’ai soutenu mon mémoire, le jury m’a proposé de continuer mes recherches et d’aller encore plus loin, pour donner une dimension beaucoup plus internationale.
En abordant le sujet de l’alimentation, on se dit très souvent que cela répond à un besoin physiologique, le simple fait de manger. Alors qu’en fait, l’alimentation doit être considérée comme un fait total, qui prend en compte de multiples facettes : politiques, scientifiques et économiques, religieuses, artistiques et philosophiques. En plus, il y a toute la filière alimentaire à analyser : les systèmes d’approvisionnement et de stockage, comment est-ce qu’on transforme à bord, comment est-ce qu’on distribue, comment est-ce qu’on gère cette population au milieu des océans ? Il faut aussi prendre en compte le contexte historique aux 19e et 20e siècles et la concurrence très forte qui se fait entre les compagnies maritimes, qu’elles soient anglaise, allemande, américaine ou française. Ainsi, on a tout un univers qui est extrêmement passionnant.
Dans le cadre du fil rouge « À la table des paquebots » de la Saison patrimoine 2023, vous animez plusieurs conférences et causeries sur ce thème pour les musées de Saint-Nazaire. Est-ce la première fois que vous collaborez ainsi avec une institution patrimoniale ?
J’ai déjà fait plusieurs collaborations, dont une d’envergure avec Dorian Dallongeville, directeur du musée portuaire de Dunkerque. On a fait une très belle exposition sur la gastronomie à bord des paquebots, pour laquelle l’Écomusée de Saint-Nazaire a prêté certains objets de sa collection.
Cette collaboration avec les musées de Saint-Nazaire me réjouit. D’autant que l’Écomusée a des fonds d’archives absolument superbes. Ces collections méritent d’être partagées. Beaucoup le sont déjà, mais je mesure le trésor qu’il y a derrière ces murs. Ce sont ces trésors que l’on va devoir mettre en lumière, avec l’ensemble de l’équipe et avec, bien sûr, Tiphaine Yvon, responsable du pôle patrimoine de Saint-Nazaire Agglomération Tourisme.
Vous inscrire dans un contexte muséal, dans une programmation culturelle comme la Saison patrimoine, c’est peut-être aussi l’occasion de toucher d’autres publics ?
Oui, c’est justement ce qui est intéressant, notamment lors de la conférence que je donne le 25 avril, « Gastronomie sur les flots ». D’ailleurs, ce terme de « gastronomie » pose question. On ne peut pas parler de gastronomie au 19e siècle. Dans toutes mes interventions, j’évoque la période de la création des premières lignes régulières, c’est-à-dire en 1790, en 1800 ou encore l’arrivée de la Black Ball Line en 1818, qui est la première compagnie à mettre en en ligne des voiliers réguliers entre l’Europe et les États-Unis. Il est intéressant de voir, que, depuis le germe qui est planté par ces premières compagnies, l’alimentation a évolué au cours du 19e siècle, et cela débouche sur la gastronomie. La gastronomie française, c’est donc bien plus tard.
En guise de mise en bouche, avez-vous quelques anecdotes croustillantes sur l’univers de la table transatlantique à partager avec nous ?
Je vais vous livrer une anecdote plutôt souriante, sur les passagers de première classe. À bord des paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique, on mange plusieurs repas par jour et on mange très bien, comme en témoignent les menus. Dans les archives, existent des récits de passagères qui, à la fin de la traversée, vont voir le commissaire de bord pour échanger avec lui. Lui aussi se tourne vers elles pour prendre des renseignements, pour savoir comment s’est passée la traversée. Certaines de ces passagères se plaignent, non pas que la traversée ait été désagréable… mais parce qu’elles ont pris trop de poids durant le voyage et qu’elles ne pourront plus mettre leurs plus belles toilettes !
Merci beaucoup Jean-Baptiste Schneider pour cette interview. Au plaisir de vous retrouver aux musées de Saint-Nazaire, tout au long de la Saison patrimoine !